ARCHIPEL – QUATRE RÉSIDENCES, MILLE EXPÉRIENCES
10.04.2021 — 02.01.2022
Frac Grand Large — Hauts-de-France
Jean-Julien Ney – Nefeli Papadimouli –
Maxime Testu – Florence Bazin, Corine Caulier, Gilles Elie, Galerie Rezeda, Mélissa Godbille, David Gommez, Lucie Herlemont, Rébecca Konforti, Marion Lebbe, David Leleu, Philippe Lipka Michael Lilin, ÉLISA MASSON, Emmanuel Simon, Manon Thirriot, JULIEN VERHAEGHE
ARCHIPEL est un programme de résidences destiné à des artistes émergents, qui relie quatre écoles d’art de pratique amateur des Hauts-de-France : Le Concept – École d’art du Calaisis, EMA / École Municipale d’Art de Boulogne-sur-Mer, École d’arts plastiques municipale de Denain_Espace VillAr(t)s et Centre d’Arts Plastiques et Visuels de Lille
« [Archipels] Ces sortes de diversités dans l’étendue, qui pourtant rallient des rives et marient des horizons » (Edouard Glissant, Traité du Tout-Monde, 1993).
Entre 2018 et 2020, Nefeli Papadimouli, Jean-Julien Ney, Emmanuel Simon et Maxime Testu ont été accueillis à Boulogne-sur-Mer, Calais, Lille et Denain pour des durées de trois mois.
Cette résidence leur a permis de poursuivre leurs recherches artistiques à travers des lectures, captations de sons et d’images, collectes d’objets, manipulations, soudures, coutures, gravures et de nombreuses conversations.
Ils ont pu s’approprier un nouvel espace de travail, expérimenter des techniques et impliquer d’autres acteurs dans leurs démarches : des artistes, des élèves, des enseignants et des habitants. L’exposition présentée au Frac Grand Large montre le fruit de ces expériences nouvelles qui traduisent des perspectives et des sensibilités différentes. Or, cette exposition intervient également dans un contexte inédit de confinement, de distanciation, de télétravail et parfois de maladie. Autant d’états qui ont profondément modifié les conditions de production des artistes et qui impactent la réception des œuvres par des visiteurs aux visages masqués, aux gestes entravées et aux corps davantage surveillés. Ainsi, bien qu’elle traverse des univers distincts, cette exposition nous évoque nos propres corps et nos désirs de voir, de sentir et d’accueillir des visions irréductibles et voisines.
JEAN-JULIEN NEY
« Le monde de Jean-Julien Ney est celui des objets : de machines étranges que l’on regarde sans comprendre, autour desquels on tourne comme si une vie propre et hermétique les habitait. […] Tout est fait pour induire un décalage entre la réalité et l’interprétation de la machine qui donne sa propre vision des formes et du réel. » Anne-Sarah Bénichou, 64ème Salon de Montrouge
Jean-Julien Ney a d’abord étudié la scénographie au Pavillon Bosio de Monaco avant de sortir diplômé de l’école nationale supérieure des beaux-arts de Lyon en 2014. Sa sensibilité pour le déploiement d’objets dans l’espace se retrouve dans ses expositions où se succèdent différents plans qui ménagent des points de vue mêlant le dedans et le dehors. « Je m’intéresse aux outils de constructions de l’image et à ses dispositifs pour ses capacités de mise à distance, de différer la matière par l’image. » Dès lors, il se tourne également vers les technologies analogiques et virtuelles, dont il met à nu les machines et les langages codés qui interfèrent avec le réel. La résidence Archipel a été l’occasion pour l’artiste de poursuivre ses recherches en associant les étudiants des écoles d’art municipales et le FabLab de Calais, dans sa quête de matériaux à recycler.
La série d’œuvres utilise des structures modulaires en aluminium profilé servant de trames. Elle combine des instruments d’optique désossés, des outils d’impression ou d’enregistrement visuels et sonores plus ou moins obsolètes et des filtres colorés. D’abord présentés à Boulogne et à Calais, ces objets singuliers et hybrides entre technicité et fonctions corporelles démembrées, sont adaptés au contexte de Dunkerque. Ils se répondent dans l’exposition et semblent désigner un espace impossible entre l’œil et la main, le corps et l’espace, dessinant une « archéologie du futur ».
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NEFELI PAPADIMOULI
Originaire de Grèce où elle a suivi des études d’architecture, Nefeli Papadimouli est diplômée de l’école nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 2016. Son intérêt pour l’habitat se situe dans le prolongement du corps, elle explore les espaces « entre » auxquels elle donne forme en prenant l’empreinte négative du vide qui sépare deux corps. Des formes-objets sont ensuite fabriquées en bois contreplaqué, peint de différentes couleurs, et mis à disposition des visiteurs pour être mesurés à leurs propres corps.
Lors de sa résidence à Boulogne-sur-Mer et à Calais, son travail s’est déplacé vers des environnements et des matériaux plus souples : le tissu, le cuir, la toile de jute et la fibre de verre avant qu’elle ne durcisse. À Boulogne-sur-Mer, l’artiste étirait des fils dans tout l’espace, un enchevêtrement joyeux qui émerveillait en même temps qu’il obligeait le visiteur à se mouvoir avec la plus grande précaution. À Calais, l’artiste avait installé un atelier de couture, elle assemblait des fragments de cuirs colorés en d’immenses chapeaux dont les bords fusionnaient en des couvre-chefs collectifs. Déjouant les normes et les conventions, l’artiste façonnait également d’immenses sacs en toile de jute dont l’échelle évoquait celle d’un corps. Mêlant des matières d’origine végétale et animale, et un patchwork de couleurs, l’exposition proposait des formes au repos.
Au Frac Grand Large, un amalgame proliférant de différentes poches assemblées les unes aux autres constitue une dizaine de vêtements reliés. Un film présente ce gigantesque costume porté collectivement par des performers qui déambulent dans un espace forestier. Leurs mouvements mettent en jeu la tension des corps et la perpétuelle transformation du « paysage relationnel ».
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MAXIME TESTU
Après des études à l’école nationale supérieure des beaux-arts de Lyon (2014) puis à la HEAD à Genève (2016), Maxime Testu a co-fondé avec d’autre artistes une plateforme littéraire en ligne, « Romaine », pour enquêter sur les à-côtés de la production plastique : les sources d’inspiration, les lieux de production et de rêveries et la précarité des conditions matérielles. Cette introspection a nourri un travail plastique tournant en dérision les mythes associés au statut de l’artiste. C’est autour de cette figure, entre fantasme et réalité, que Maxime Testu conçoit ses dessins, ses collages et ses sculptures, mêlant autant de références à l’histoire de l’art, qu’aux cultures underground et aux médias.
Les œuvres réalisées ici s’inscrive dans la continuité de son Autoportrait au chignon (2019), un ensemble de collages associant par affinités des fragments teintés de romantisme noir, empruntés à Odilon Redon ou à Nick Cave. D’autres travaux assument un ton plus humoristique, oscillant entre dérision et cynisme. Artists as Dogs (2019) sont des panneaux qui compilent des portraits de chiens dont les regards semblent implorer notre attention, bousculant ainsi les rôles entre artistes et regardeurs.
Lors de sa résidence à Lille et à Denain, Maxime Testu s’est essayé à la technique des eaux-fortes pour la série intitulée Schnorrer (2019-2020), métaphore de l’artiste vagabond. Les vignettes gravées de petit format mettent en scène un squelette dilettante, évocation de l’artiste en prise avec le quotidien. Comme le souligne la critique d’art Indira Béraud, la figure du squelette se manifeste « comme symptôme d’une génération nouvelle, […] qui accueille les catastrophes morbides sans grande résignation, sans grande résilience non plus. »* Une mélancolie solitaire qui se fond dans des situations ou attributs grotesques.
L’artiste revendique une posture d’amateur qui l’autorise à se frotter aux techniques de création les plus variées. En contrepoint des gravures, Maxime Testu présente sa série plus récente de peintures à l’acrylique d’inspiration pop et surréaliste. L’artiste y représente des mains qui échouent à se saisir des outils digitaux, tablettes ou smartphones. Elles traversent les matières, donnant l’impression d’une réalité qui se liquéfie et perd de sa consistance. L’artiste poursuit une critique des objets de consommation qui prennent place sur les écrans numériques devenus de véritables prothèses dans nos relations aux autres et au passé.
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FLORENCE BAZIN, CORINE CAULIER, GILLES ELIE, GALERIE REZEDA, MELISSA GODBILLE, DAVID GOMMEZ, LUCIE HERLEMONT, REBECCA KONFORTI, MARION LEBBE, DAVID LELEU, PHILIPPE LIPKA, MICHAEL LILIN, ÉLISA MASSON, EMMANUEL SIMON, MANON THIRRIOT, JULIEN VERHAEGHE
« Mon autorité se dissout et j’abandonne la paternité unique de mon travail quand mes expositions personnelles deviennent collectives ou quand nos œuvres deviennent collaboratives. » Emmanuel Simon
Peintre diplômé de l’Institut supérieur des arts de Toulouse en 2014, Emmanuel Simon rapporte sa démarche artistique à une expérience fondatrice vécue en 2011 lors d’un atelier de recherche où il décida de peindre les autres « en train de peindre ». Une performance qui l’amena à développer différentes « stratégies » de contournement des questions picturales : celles du format, de la technique ou encore du temps passé à peindre.
Au sortir de l’école, sa pratique s’engage dans une démarche expérimentale de collaborations, invitant des artistes à intervenir sur ses toiles ou à tenter des formes de co-création. Son intérêt pour le collectif se précise ainsi que la nécessité de développer la solidarité avec ses pairs. En 2015, invité à la Biennale de Mulhouse, il prend l’initiative d’inviter à son tour trois artistes. Depuis, chaque exposition met au défi la question du collectif, les procédures d’inclusion, de délégation, de court-circuit et de mises en abyme.
En 2019, à travers la résidence Archipel, il s’intéresse aux pratiques amateur, où la question de l’apprentissage par la copie et le renoncement au choix du sujet trouvent des échos dans sa propre pratique. À Denain puis à Lille, il constitue des groupes ad hoc, mêlant artistes et élèves. Les principes de coopération, d’emprunts et les discussions travaillent la question de l’autorité/auteurité dont rendent compte le texte de Véronique Goudinoux et les expositions « (H)all over 17 – Archipel #2 » à Denain et « mayonnaise » à Lille.
La plupart des artistes impliqués ont voulu prolonger l’expérience collaborative à Dunkerque et s’interroger sur les possibilités de production dans un contexte partagé avec d’autres. C’est finalement le format du magazine qui a été retenu, permettant d’être feuilleté et emporté par les visiteurs. Un choix qui favorise l’expérience intime du regard et du toucher. Aussi, dans ce nouvel îlot, chacune des pages déploie sa singularité, mais c’est aussi l’objet d’une irrésolution commune qui s’offre ici en partage.
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REPORTAGE FRANCE 3
* Le catalogue Archipel accompagne l’exposition.
Coédition : Frac Grand Large — Hauts-de-France, Le Concept – École d’art du Calaisis, EMA / École Municipale d’Art de Boulogne-sur-Mer, École d’arts plastiques municipale de Denain_Espace VillAr(t)s et Centre d’Arts Plastiques et Visuels de Lille.
Textes : Jean-Christophe Arcos, Indira Béraud, Véronique Goudinoux, Julie Pellegrin
Conception graphique : Mélanie Berger
Date()s
10.04.2021 — 02.01.2022