FRAC Grand Large

Hauts-de-France

L’ombre des jours de Marc-Antoine Garnier

22.01.2022 — 13.03.2022

Frac Grand Large — Hauts-de-France

Visite de l’exposition avec l’artiste le dimanche 13 mars, 15h

Rencontre avec l’artiste le jeudi 17 mars, 18h30 au Frac Picardie

Diplômé de l’École supérieure d’art et design Le Havre-Rouen en 2014, Marc-Antoine Garnier s’attache à montrer l’image par sa matérialité et nous permet de mieux comprendre  notre relation au temps et à l’espace.

Dans le cadre de la résidence ARCHIPEL, l’artiste a exploré la Côte d’Opale entre Boulogne-sur-Mer et Calais et arpenté les paysages. Muni de son appareil photographique, il a d’abord cherché à s’imprégner des atmosphères, des couleurs et des lumières et à traduire les sensations de leurs infinies variations. Ses images photographiques se concentrent ainsi sur des détails : la surface paradoxale de l’eau – à la fois dense et opaque – les jeux colorés des nuages dans le ciel ou encore la douceur des pierres. Cette approche est redoublée par une prise en compte spécifique des supports d’impression en papier qu’il travaille par fragmentation (Crépuscule), pliage (Pliages), contre-collage (Clair-obscur) ou encore en volumes autonomes (Colonnes).

Dans la série Le détail, chaque photographie est découpée à la poinçonneuse afin d’obtenir des points, puis reconstituée minutieusement sans les jointures. Le léger décrochement de surface accroche la lumière de l’espace d’exposition et crée une sensation de mouvement à chacun de nos déplacements. Cette intervention redonne de la consistance à des images de nature sans jamais verser dans la nostalgie ou la caricature.

C’est en prenant soin des écarts et des échos dans l’agencement des œuvres que l’exposition rythme notre parcours, invitant à une contemplation active. En contrepoint, Marc-Antoine Garnier a choisi, dans la collection du Frac Grand Large, une œuvre de l’artiste belge David Claerbout Untitled (Mist Over Landscape). Cette installation photographique présente l’image translucide d’un paysage brumeux sur lequel se lève le soleil. À l’arrière, un projecteur de théâtre éclaire intensément le haut de l’image, semblant ainsi dissiper le brouillard. Les deux artistes traitent du paysage en jouant avec la sensation d’intemporalité qui caractérise les phénomènes naturels (soleil, brume, flux, érosion) tout en intensifiant l’expérience du regardeur, ici et maintenant. 

Marc-Antoine Garnier, amplifier le réel
Par Étienne Hatt

Parmi d’autres développements, la photographie des années 2010 fut marquée par la matérialisation et la spatialisation de l’image. Remettant en cause le modèle pictural du tableau accroché au mur, ces recherches croisèrent la photographie et la sculpture, l’installation ou l’architecture.
Pour en rendre compte, Lucy Soutter a pu parler d’« expanded photography1 » et Michel Poivert de « photographie amplifiée ». Marc-Antoine Garnier, qui se forme au début de la décennie à l’école des beaux-arts de Rouen, s’inscrit dans cette dynamique mais, dépassant un conflit parfois irrésolu entre l’image et l’objet, réaffirme le pouvoir iconique de la représentation. À ses yeux, la photographie vaut pour son rapport indiciel au réel, à l’espace et au temps, même s’il ressent, selon ses termes, la nécessité de la « déconstruire » et de la « reconstruire » pour offrir une expérience plus complète du monde.

À ses débuts, Marc-Antoine Garnier photographiait des bâtiments industriels ou des objets trouvés comme ceux présents dans la grille Photosculptures (2015) issue d’une commande sur la ville normande de Grand-Quevilly. Puis, reprenant une piste ouverte par les travaux autour du paysage Nisyros (2013) ou Kardamena (2016), mais rompant toute attache avec un territoire donné et identifiable, il s’est tourné vers le ciel, la mer, les roches et la végétation. Son intérêt semble ainsi avoir glissé d’une anthropologie des traces laissées par l’homme sur la planète – ruines à venir, rebuts, déchets, etc. – à la métaphysique de sa place – minime, relative – dans le monde. Car si la figure humaine est toujours absente des images, elle demeure en creux. Elle est présente dans le format en hauteur, significativement appelé « portrait », que privilégie l’artiste, alors que le traitement conventionnel de ses motifs appellerait l’horizontalité du format « paysage ». L’humain est ainsi le prisme inattendu par lequel entrer dans ces photographies qui semblent en contester l’existence.

En témoignent ses photographies du ciel qui a fait l’objet de nombre de travaux récents de Marc-Antoine Garnier. Certaines prennent les nuages pour sujet et se situent dans un rapport renouvelé à la tradition photographique ouverte dans les années 1920-1930 par Alfred Stieglitz dont les Equivalents avaient la valeur d’émotions. D’autres font du ciel des abstractions qui le fragmentent et exploitent ses lumières, ses couleurs et leurs gradations. L’artiste utilise un appareil numérique qui évacue toute interférence et garantit une image transparente et lisse.
Il photographie le plus souvent après le coucher du soleil et pointe son objectif au-dessus de la ligne d’horizon. Le Bleu du ciel (2019-2020), composé de quarante photographies prises à des moments et dans des lieux différents, souligne les infinies variations chromatiques des minutes qui précèdent la nuit. L’Heure bleue 1 (2019), une photographie réduite à une constellation de quarante disques de 2 cm de diamètres, montre cette richesse au sein d’une même image. À cette approche contemplative et intuitive, répondent les protocoles mis en place pour Temps solaire (2018) et Crépuscule (2020), dont les photographies, captées à intervalle régulier, sont présentées en séquences matérialisant le passage du temps dans un élan moins scientifique que poétique.

S’il se refuse à les recadrer, Marc-Antoine Garnier laisse rarement ses photographies en l’état. Ses interventions sont variées. Les plus rares sont celles qui portent sur l’image. Elles relèvent alors de la manipulation numérique comme dans La Cime (2020), une vue des roches, qu’il a passée en négatif grâce à une opération sommaire sous Photoshop. Les plus nombreuses portent sur les tirages, des impressions jet d’encre sur un papier épais. L’une est la découpe circulaire ou le poinçonnage qui permettent à Marc-Antoine Garnier de créer des détails qu’il recolle ensuite sur un fond blanc, de manière partielle et éparse dans L’Heure bleue 1 ou systématique et régulière dans la série Le Détail (2020-2021), ensemble de photographies de 40 x 28 cm composées chacune de 2106 points. Surtout, dans le prolongement de la série Pliages (2017), ces recherches sur le support ont des développements dans l’espace.

Elles suivent alors deux voies apparemment contradictoires mais qui, l’une comme l’autre, en dépit du fini quasi industriel des réalisations, n’impliquent que des procédés manuels et artisanaux que l’artiste ne délègue jamais et laisse visibles. a première se veut mimétique : la volumétrie de l’objet photographique épouse les formes de son sujet. Le grand Nuage (2019) se déploie sur des volumes rebondis tandis que des plis irréguliers donnent du relief aux gros plans de rochers et de vagues du diptyque réunissant La Sensibilité des pierres et La Douceur de l’eau (2021). L’autre voie, en insistant sur la géométrisation, tend, au contraire, à l’abstraction.

Si les Colonnes (2021) sont des cylindres formés de simples photographies roulées dont les couleurs et les traînées nuageuses évoquent le marbre et ses veines, Crépuscule est composé de dix barres de 120 x 6 x 6 cm enveloppées chacune d’un tirage. Enfin, Clair-obscur est une photographie de nuage aux plis parallèles et réguliers. Cette œuvre montre combien les deux voies sont bien plus poreuses que contradictoires. Car, en dépit de la géométrie de l’intervention, les plis évoquent les rayons du soleil couchant filtrés par le nuage.

La pratique de Marc-Antoine Garnier semble paradoxale. En dépit de leurs sujets qui peuvent évoquer une iconographie stéréotypée, ses photographies ne prolongent pas les réflexions sur la banalité ou le kitsch de l’« image-modèle ». L’artiste ne se situe pas dans une critique de la représentation. Au contraire, il croit en l’acte et en l’image photographiques, il revendique leur valeur descriptive et poétique et assume la beauté de ses images. Et pourtant, cette confiance dans le médium semble s’accompagner, dans un même mouvement, d’une claire conscience de ses limites. Ces dernières ont trait à l’expérience de l’image. Pour Marc-Antoine Garnier, il serait réducteur de ne voir dans le spectateur qu’un œil désincarné et dans la perception de l’œuvre qu’une affaire d’optique.

L’artiste, en effet, aime tendre des pièges au regard. L’évidement des Détails obtenues par poinçonnage, le titre et la négativisation de La Cime, qui n’est pas la vue d’une chaîne de montagne basculée à 90°, mais un gros plan de roches pris sous la terre, fait comprendre que l’appréhension des œuvres de Marc-Antoine Garnier est une expérience complexe. C’est aussi une expérience complète qui mobilise le corps entier du spectateur.
Les photographies sortent du cadre, se détachent du mur pour partager l’espace dans lequel il évolue. L’Eau et les rêves (2019) est composé de deux vues, l’une, verticale, d’un ciel, l’autre, horizontale, d’une mer, qui se rejoignent à l’angle du mur ; les volumes de Nuage et Crépuscule sont, quant à eux, simplement posés contre celui-ci. Si le spectateur se tient devant ces œuvres, il doit tourner autour de Clair-obscur, nuage qui a glissé au sol sur un socle formé de tasseaux entrecroisés, et circuler entre les Colonnes qui, hautes d’1,10 m, ne se veulent pas monumentales mais aux dimensions humaines. Ce sont bel et bien les déplacements du spectateur qui activent l’intrication de l’image, de ses reliefs et de ses volumes.
Avec Marc-Antoine Garnier, la photographie amplifiée amplifie avant tout le réel


ARCHIPEL est un programme de résidences destiné à des artistes émergents, qui relie quatre écoles d’art de pratique amateur des Hauts-de-France : Le Concept – École d’art du Calaisis, EMA / École Municipale d’Art de Boulogne-sur-Mer, École d’Arts Plastiques de Denain_Espace VillAr(t)s et Centre d’Arts Plastiques et Visuels de Lille

Une édition accompagne l’exposition avec un texte du critique d’art Étienne Hatt.

Avec une œuvre de David Claerbout issue de la collection du Frac Grand Large

Date()s

22.01.2022 — 13.03.2022

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