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Hauts-de-France

DE LEUR TEMPS (7) EN MUSIQUE !

MADSAKI, Teenage Lobotomy, 2016 © Courtesy MADSAKI/Kaikai Kiki Co., Ltd. Courtesy Perrotin. COLLECTION Blidar-Verjus

Pour accompagner l’exposition, « De leur temps (7), un regard sur des collections privées » Benjamin Mialot, programmateur des 4Écluses, vous propose une playlist réalisée comme une bande-originale. 

1. Juliette Green – What do we consider private? /// UNE ŒUVRE À SOI (4e étage)
🎵 Jeffrey Lewis – Scowling Crackhead Ian (2015)

Que considérez-vous comme privé ? C’est la question qu’a posée Juliette Green à des inconnu·e·s. Et le résultat, aussi désopilant que révélateur de la confusion névrotique dans laquelle pataugent l’homme et la femme modernes, donne plutôt l’impression de faire la connaissance de personnages recalés des Contes de la folie ordinaire de Charles Bukowski. C’est toutefois plutôt du côté de la bande dessinée américaine underground que ces silhouettes stéréotypées et phylactères à géométrie variable trouvent un écho, dans les œuvres de Robert Crumb par exemple. Ou dans celles de Jeffrey Lewis, songwriter new-yorkais qui compose (et dessine, donc) depuis vingt-cinq ans les pages les plus débrouillardes de l’anti-folk – l’enfant mal élevé du folk, dont il a hérité du naturel et du goût pour les instruments acoustiques avant de développer une attitude et un discours issus du punk. Albums bricolés, fanzines auto-publiés, tournées organisées à la force de l’e-mail, Jeffrey est en effet l’incarnation même de l’esprit Do it Yourself. Il est surtout l’un des plus brillants paroliers de sa génération, capable, en une poignée d’accords et de bavardages, de transporter ses malheureusement trop rares auditeurs dans un lieu, un quartier ou une ville à la rencontre de ses losers les plus magnifiques. Exemple, avec ce portrait d’un turbulent camarade d’enfance devenu accroc au crack, issu d’un disque tout entier dédié à Manhattan.

2. Nicolas Dhervillers – Crossfade /// PAYSAGES D’AILLEURS (4e étage)
🎵 Girl Talk – In Step (2008)

Au cinéma, le crossfade (ou fondu) consiste à baisser la luminosité d’une séquence et à augmenter celle de la suivante pour les superposer temporairement. On opère ainsi une transition plus fluide et narrative qu’un simple cut – on l’utilise traditionnellement pour des flash-back ou des ellipses. Une marque de ponctuation visuelle que Nicolas Dhervillers s’approprie pour assembler photographies et peintures en des paysages fantasmagoriques. On ne vous apprendra sans doute rien en vous disant que la technique fonctionne aussi avec la musique : depuis l’apparition du DJing dans les années 40, c’est tout un art de l’enchaînement sonique qui s’est développé, puisque au-delà du seul volume, c’est surtout en jouant avec les fréquences que la magie opère. Jusqu’à donner naissance à un genre hybride, le mashup, qui consiste à combiner les parties vocales et instrumentales de morceaux différents pour en créer un nouveau. Le plus emblématique s’intitule As Heard on Radio Soulwax Pt. 2, gigantesque collage (1h, 114 morceaux) réalisé en 2003 par le duo belge Soulwax, rebaptisé 2 Many DJ’s pour l’occasion. Malheureusement celui-ci étant indisponible sur les plates-formes de streaming, sans doute pour des questions de droits d’auteur, on se rabattra sur un autre spécialiste du genre, l’Américain Girl Talk, avec ce morceau où se croisent Nirvana, The Beach Boys, Roy Orbison, Kraftwerk, Earth Wind & Fire ou encore Snoop Dogg – issu d’un album totalisant pas moins de 300 emprunts.

3. Julian Charrière – An Invitation to Disappear /// PAYSAGES D’AILLEURS (4e étage)
🎵 Trisomie 21 – La Fête triste (1984)

À l’heure où l’industrie de la musique ménage encore trop ses efforts pour réduire son impact écologique, difficile pour l’auteur de ces lignes de ne pas être sensible à la posture à la fois hédoniste et alarmiste de Julian Charrière. Tournées pharaoniques mobilisant des dizaines de semi-remorques, culture de la rareté conduisant les artistes à traverser des océans pour une poignée de représentations, recours encore massif aux bouteilles d’eau en plastique, etc. : à ce rythme, le monde d’après promis pendant la pandémie ressemblera effectivement à cette rave de fin du monde, où seuls les palmiers à huile ont survécu aux clubbeur·e·s. Une fête à la beauté fantomatique et cafardeuse, comme l’une des compositions les plus célèbres du duo valenciennois Trisomie 21, groupe phare de la cold wave, musique synthétique et lugubre s’il en est apparue en Angleterre à l’orée des années 80

4. Oda Jaune – Sans titre /// DES VISAGES, DES IMAGES (4e étage)
🎵 Noir Désir – Des visages, des figures (2001)

Abordant la représentation du corps humain comme un jeu de transfert entre sa surface et ses entrailles, l’œuvre d’Oda Jaune prend la forme de visions aussi poétiques que traumatiques. Ainsi de ces corps figuratifs et défigurés, face auxquels l’incompréhension laisse rapidement place à un flux de ressentis contradictoires : excitation, curiosité, malaise… Ce trouble, la musique de Noir Désir le provoque aussi, en particulier sur son ultime album, qui marquait une rupture définitive avec les velléités électriques du groupe bordelais. La résonance avec le tableau d’Oda Jaune dépasse en effet le jeu de mots équivoque qui lui sert de titre : des textes cryptiques de Bertrand Cantat aux arrangements impressionnistes de ses camarades, Des visages, des figures demande lui aussi un effort d’abstraction et, surtout, de s’abandonner à ses charmes cabossés sans chercher à comprendre de quoi il retourne. C’est malheureusement encore plus vrai (et plus difficile) depuis le crime que l’on connaît.

5. Emmanuelle Bousquet – Haute couture #7 /// DES VISAGES, DES IMAGES (4e étage)
🎵 Pharmakon – Body Betrays Hitself (2014
)

A mi-chemin de la photographie de mode et de l’autoportrait thérapeutique, le travail d’Emmanuelle Bousquet consiste, dixit le catalogue de l’exposition, à « raconter la femme adulte, qui transcende ses douleurs dans l’art » et, par là même, à interroger nos représentations du corps, notamment dans ce qu’il a de fragile et périssable. Ce fut aussi l’intention de la New-yorkaise Margaret Chardiet lors de l’enregistrement de Bestial Burden, son deuxième album, inspiré par une lourde et inattendue opération chirurgicale qui l’a amenée à prendre conscience qu’elle n’était que le passager d’un véhicule de chair voué à dépérir et se décomposer. Déjà passablement tourmentée et violente, sa musique n’en demandait pas tant – et pour cause : Pharmakon produit et hurle de la harsh-noise, pratique bruitiste et expérimentale qui s’affranchit de toute notion de mélodie et de rythme. Difficile en tout cas de faire plus cohérent dans le fond et la forme que ce disque cathartique, des titres des chansons (partageant avec elle une prédisposition aux maladies auto-immunes, on a choisi « Le corps se trahit lui-même ») à la pochette de l’ensemble, qui montre la musicienne nue et recouverte d’abats.

6. Danh Vo – We the People (Detail) /// CORPS SOCIAL (4e étage)
🎵 Rage Against the Machine – Without a Face (1996
)

Il se reflète dans les contours mordorés de ce morceau de la Statue de la Liberté (c’est une copie, calmez-vous) toute la schizophrénie politique et sociale des États-Unis, terre d’asile toujours plus hantée par le spectre du racisme et toujours plus rongée par l’hypocrisie de ses promesses d’opportunité. Des chansons qui dénoncent ces contradictions, il en existe des tonnes et, parmi celles qui s’intéressent plus spécifiquement au sort des migrants, des quintaux. Mais en matière de probité, difficile de faire mieux que Rage Against the Machine qui, dès le milieu des années 90, s’intéressait aux atrocités commises à la frontière mexicaine : anti-capitaliste et anti-impérialiste, RATM a toujours joint le geste à la parole, tournant un clip sauvage devant le New York Stock Exchange, recouvrant ses amplis de drapeaux américains à l’envers devant un candidat à la présidentiel millionnaire ou apparaissant nu sur scène et bâillonné pour dénoncer la censure. Accessoirement, il s’agit de l’un des groupes les plus importants de la musique à guitare du XXe siècle, souvent imité dans sa manière de mêler la véhémence du rap et l’intensité du heavy metal, mais jamais égalé.

7. Estefania Penafiel Loaiza – Sans titre (Figurants) /// CORPS SOCIAL (4e étage)
🎵 Tom Petty – A Face in the Crowd (1989)

C’est sans doute l’une des œuvres les plus fortes de l’exposition : une collection de flacons contenant les restes de papier des anonymes qui peuplent les photos d’actualité, manière de rendre leur grandeur à celles et ceux qui n’écrivent pas l’Histoire mais en constituent le décor. Et parce que derrière chaque passant·e se cache la possibilité d’une odyssée sensible, c’est une chanson d’amour qu’on a choisie, l’une des plus belles d’un songwriter qui fut prolixe en la matière, adressée à un coup de foudre jailli d’une foule. Le parallèle est d’autant plus légitime que, de ce côté de l’Atlantique, Tom Petty eut plus souvent droit à des notes de bas de page qu’à des dithyrambes à la mesure de sa carrière – alors que le type a quand même joué avec Johnny Cash, Bob Dylan ou George Harrison

8. Damien Hirst – Locanda Locatelli /// L’AMBITION D’UNE RELATION (4e étage)
🎵 Schoolboy Q – Prescription/Oxymoron (2014)

On ne présente plus Damien Hirst, artiste provocateur devenu emblématique des dévoiements luxueux du marché de l’art. Cette œuvre mérite en revanche qu’on s’y attarde car, au-delà de ce qu’elle raconte de son auteur et de son rapport à l’intime (puisqu’il s’agit d’un clin d’œil aux flacons que descendait sa mère pour se sentir mieux), elle dit quelque chose de l’époque, tellement anxiogène que le seul moyen de la supporter est de recourir à la chimie. Le problème est particulièrement sensible aux États-Unis, où quantité d’artistes ont consacré des chansons à leurs addictions sur prescription. Celle du rappeur Schoolboy Q, ex-dealer d’antalgiques et sensation du hip-hop des années 2010, est un modèle du genre : classique du chopped and screwed (sous-genre où l’instrumentation est ralentie et hachée, comme si elle passait sur un baladeur cassette aux piles usées), elle s’ouvre sur un inventaire de médicaments et d’effets, avant de laisser la place à la voix lointaine d’une petite fille tentant de réveiller son père. Ambiance.

9. Lili Reynaud-Dewar – Printemps 2019 /// L’AMBITION D’UNE RELATION (4e étage)
🎵 Damon Albarn – Lonely Press Play (2014
)

On dit d’une création qu’elle n’appartient plus à son auteur·rice à partir du moment où elle est accessible à un public. Si tel est le cas, Lili Reynaud-Dewar s’est fait dépouiller de cet autoportrait la montrant, smartphone en main, prendre une pause méritée loin du tumulte de la rue. Exposée à Montpellier, la statue s’est ainsi d’abord fait dérober ses biens (téléphone, collier, sac) avant d’être carrément décapitée. Voilà pour l’anecdote. Place à l’interprétation : au-delà de l’apaisement qu’elle dégage, difficile de ne pas songer à l’enfermement numérique qui guette les générations connectées. Le prolifique Damon Albarn, leader de feu Blur et Gorillaz, l’évoque avec une désarmante évidence ( « Si tu te sens seul, appuies sur lecture. ») sur cette pop song mélancolique extraitede son premier album solo.

10. Tim Zdey – Soft Diffraction V36 /// LES LIEUX DE L’ART (4e étage)
🎵 Superpoze – North (2015)

Géométriques et ludiques, les toiles de Tim Zdey ont parfois des airs de pochettes de disques, notamment celles que confectionnait Peter Saville pour le mythique label anglais Factory. À tel point qu’on se demande s’il ne serait pas atteint de synesthésie, cette particularité neurologique qui permet à certaines personnes d’associer des perceptions sensorielles a priori incompatibles. Le musicien caennais Superpoze (jeune prodige du beatmaking devenu un esthète du minimalisme à la Philipp Glass), par exemple, entend des couleurs et c’est immédiatement à lui que cette œuvre nous fait penser. On ne sait lesquelles lui sont venues à l’esprit au moment de composer ce morceau, on est certain en revanche qu’il baigne dans la lumière hivernale de sa Normandie natale. Et comme il est question chez Tim Zdey de diffraction…

11. Gregory Chatonsky – Contrefaits (La Joconde) /// LES LIEUX DE L’ART (4e étage)
🎵 Brian Eno – Reflection (2017)

L’Intelligence Artificielle, vous le savez, est la grande marotte technologique du moment, particulièrement dans le domaine de l’image, où des entités telles que Midjourney, Stable Diffusion ou Dall-E permettent au premier quidam venu de produire des contenus sur la base de mots-clefs et descriptions. Le résultat est souvent familier (leurs algorithmes se nourrissant des milliards d’images disponibles sur le Web), parfois saugrenu, toujours bluffant. Ainsi de cette pièce de Gregory Chatonsky, qui revisite La Joconde. La musique n’est évidemment pas épargnée, et si certain·e·s se contentent de laisser bosser la machine, d’autres poussent la réflexion plus loin. Ainsi de Brian Eno, pionnier anglais de la musique ambient, qui a publié sur une application une version générative de l’unique plage constituant son vingt-sixième album : jouant indéfiniment, elle évolue de manière autonome en fonction de l’heure de la journée. Bon, ce n’est évidemment pas le cas sur les plates-formes de streaming, mais cette version figée dans sa subtilité et son minimalisme donne tout de même une bonne idée du procédé.

12. Julien Primard – Le Trophée /// TEMPS SUSPENDU (4e étage)
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Kavinsky – Nightcall (2010)

Du béton, une voiture de sport et un individu désemparé pour conjurer le sentiment de solitude qui nimbe nos sociétés pourtant foisonnantes et surpeuplées ? On a ce qu’il vous faut : de la synthwave, musique foncièrement urbaine où les claviers dessinent des horizons de néons et les rythmes incitent à rouler des heures sans destination. Dans le genre, cette chanson du Parisien Kavinsky, produite par une moitié de Daft Punk est l’une des plus connues – elle rehausse la déjà sublime introduction du Drive de Nicolas Winding-Refn. Elle est aussi l’une des plus déchirantes, avec son refrain vitreux évoquant ces confessions nocturnes qu’on ne peut s’empêcher d’adresser par téléphone quand pointe le désœuvrement.

13. Lois Weinberger – Green Man /// VANITÉS ET LIBERTÉS (4e étage)
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The Talking Heads – Nothing but Flowers (1988)

Depuis les années 70, l’artiste autrichien Lois Weinberger traduit son éco-anxieté et interroge notre rapport à la nature dans des œuvres et installations aussi poétiques que facétieuses, où les plantes les moins nobles reprennent leurs droits sur les matériaux qui trop souvent les étouffent (béton, acier). Exemple avec ce bonhomme vert entièrement picté de bardane et visiblement prêt à féconder la Terre. Le résultat pourrait être le monde décrit par The Talking Heads (groupe culte qui dans les années 80 mélangea comme personne post-punk et musique africaine) dans cette chanson insolite, sorte d’Eden post-apocalyptique où l’Homme peine pourtant à se débarrasser de ses mauvaises habitudes conquérantes. En gros : c’est beau toute cette verdure, mais un coup de tondeuse ne ferait pas de mal. Bonus : le groupe est ici accompagné par le guitariste de The Smiths, Johnny Marr et, si vous avez des enfants et Netflix, vous avez sans doute entendu cette irrésistible satire dans l’extraordinaire film d’animation Les Mitchell contre les machines.

14. Kapwani Kiwanga – Soft Measures: Lago Mare /// LES ANGES DE L’HISTOIRE (3e étage)
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Algiers – Irony. Utility. Pretext (2015)

On connaissait le Grand remplacement (n’y croyez pas, par pitié), Kapwani Kiwanga, artiste ne se déplaçant jamais sans un lourd bagage académique, nous informe elle d’un Grand glissement, celui de la plaque tectonique eurasienne sous celle de l’Afrique, représenté par ce bloc de marbre et ce tissu aux airs de drapeau imbibé de sang. Il fallait pour lui répondre un groupe s’interrogeant sur la condition noire avec ce qu’il faut de culture et de sagacité. Ça tombe bien, il existe : il s’appelle Algiers, se réclame de Malcom X ou Baudrillard et fusionne post-punk, gospel et musique industrielle dans des chansons aussi incendiaires qu’érudites – dans celle-ci, extraite du premier album du trio américain, il est ainsi question de violences policières, de décolonisation et de transcendance par l’art.

15. Ilona Granet – Curb Your Animal Instinct /// LES ANGES DE L’HISTOIRE (3e étage)
🎵 Petrol Girls – Touch Me Again
(2016)

Venez faire un tour aux 4Ecluses et des messages de cette nature, à la fois humoristique et militante, vous en verrez dans tous les coins de la salle, la question des violences sexuelles et sexistes étant depuis quelques années au cœur des préoccupations des lieux recevant du public dans un cadre festif. Si les premières rockeuses féministes ont adopté le même mélange de malice et de hargne qu’Ilona Granet pour faire passer le message (à l’instar de la plupart des figures du mouvement riot grrrl, Bikini Kill et Le Tigre en tête), on optera ici pour l’approche plus frontale de leurs héritières, faute de réels progrès chez nos pairs. Par exemple, celle du groupe de hardcore anglais Petrol Girls, dont le propos ne saurait être plus explicite : « Touche-moi encore et putain, je vais te buter. »

16. Duncan Wylie – Hand Study Friday 11PM /// LE CABINET D’EROS (3e étage)
🎵 Britney Spears – Touch of My Hand (2003)

Certains tableaux se passent de commentaire, comme cette délicate et suggestive étude de Duncan Wylie – qui peignait auparavant des no man’s land architecturaux, on se demande quel événement a provoqué ce virage. L’occasion de vous proposer l’une des plus chouettes chansons consacrées à la masturbation féminine et au sentiment d’empowerement qu’elle déclenche : Touch of My Hand de Britney Spears. Et oui – en même temps, elle est issue de son meilleur album, In the Zone.

17. Grayson Perry – Me Wanking Off /// LE CABINET D’EROS (3e étage)
🎵 Green Day – Longview (1994)

Parité oblige, au tour de la masturbation masculine. Les Anglais ont une expression pour désigner le réservoir à fantasmes (mental, sinon c’est de la triche) qui alimente une séance d’onanisme : ils parlent d’une wank bank. Celle de Grayson Perry prend visiblement la forme d’une urne en céramique tapissée de ce qu’il faut de vulgarité et d’étrangeté pour rendre la chose intéressante au point, comme dans ce tube du groupe de pop punk Green Day, de s’en mordre la lèvre. Aveu : il a accompagné l’adolescence de l’auteur de ces lignes.

18. ADD FUEL – AZ393 – Hands of Fate & Faith et AZ361 (Blueprint) /// NON-ALIGNÉES (1e étage)
🎵 Pongo – Wegue Wegue (2022)

« Entre tradition et modernité. » Cette locution a beau être la plus fidèle amie du critique à la peine face à un travail hybride, il faut parfois savoir ployer le genou devant les évidences. Impossible en effet de décrire autrement le travail du street artist Add Fuel, qui revisite les motifs des faïences portugaises avec le pep’s et le sens du volume des fresques urbaines. Il en va de même de la musique de Pongo, chanteuse d’origine angolaise installée à Lisbonne qui depuis son plus jeune âge, d’abord au sein de Buraka Som Sistema et désormais en solo, célèbre les noces enfiévrées de l’électro, du rap et des sonorités traditionnelles de l’Afrique du sud-ouest (semba, kuduro). Si vous avez eu la chance d’assister à son concert aux 4Ecluses, vous devez avoir un souvenir moite et engourdi de cette boule d’énergie. Sinon, voilà de quoi vous mettre le seum.

19. MADSAKI – Teenage Lobotomy /// ART DU DÉTOURNEMENT (1e étage)
🎵 PSY – Gangnam Style (2012)

Il y a quelque chose de paradoxal, une sorte d’ironie existentielle, dans le fait que cette œuvre du vrai faux street artist japonais Matsaki (il n’a jamais peint dans la rue mais s’inspire de cette discipline) soit devenue célèbre alors qu’elle moque la culture de masse qu’elle représente. C’est encore pire dans le cas du hit interplanétaire Gangnam Style, et on s’excuse d’avance de vous le remettre en tête (mais la médiation, c’est aussi mettre de côté son snobisme). En effet, alors que la chanson du chanteur sud-coréen PSY (et son clip gogol comme pas deux) critique ouvertement le matérialisme et la cupidité de son pays, mais aussi la scène musicale dont il est issu (la fameuse K-pop), elle est devenue l’une des plus écoutées en Occident. En fait, non, on retire nos excuses. Sortir une mélodie aussi imparable demande forcément du talent.

20. Szabolcs Bozó – Mr B /// LE BO BIZARRE (1e étage)
🎵 Daniel Johnston – Walking the Cow (1983)

Dire que l’œuvre de Szabolcs Bozó a à voir avec l’art brut relève de l’euphémisme. Ces animaux aux formes extravagantes, ces couleurs flashy grossièrement appliquées, ces sourires bizarrement ahuris : tout semble issu de l’imagination vierge et débridée de quelque marginal autodidacte. Ce n’est pas le cas. Ce l’était un peu plus en ce qui concerne Daniel Johnston, génie maniaco-dépressif (pléonasme ?) dont la musique fut souvent comparée à l’équivalent sonore des trouvailles de Dubuffet – et on ne vous parle pas de ses dessins. Décédé récemment en laissant derrière lui un culte qui dépasse l’entendement (Tom Waits, Beck, Sonic Youth… toutes les stars du rock indépendant l’ont repris, accompagné sur scène ou vénéré), Daniel a enregistré, souvent avec une économie de moyens devenue un style à part entière (le lo-fi),quantité de merveilles dignes des Beatles ou de Bob Dylan, comptines dont les atours parfois zinzins renferment des trésors de sensibilité. En voici une parmi tant d’autres : Walking the Cow, inspirée par une étiquette de crème glacée montrant une jeune fille promenant avec difficulté une vache, et interprétée comme une métaphore du poids que l’existence fait peser sur nos épaules.

21. Hans-Peter Feldmann – Painting of Light /// UN COEFFICIENT D’ART (1e étage)
🎵 Pantha du Prince & The Bell Laboratory – Particle (2013)

Un projecteur, deux crochets : il n’en faut pas plus à Hans-Peter Feldmann pour créer, non sans humour, un tableau à la pureté inégalable – on rappelle à celles et ceux qui ont oublié leur cours de physique qu’une couleur n’est qu’une perception que l’œil humain a de la lumière. Le producteur allemand Pantha du Prince, fer de lance d’une musique électronique sophistiquée et conceptuelle, a lui en revanche mis les petits plats dans le grand : au moment d’enregistrer son album Elements of Light, dont l’ambition n’est rien moins que de représenter par le son les différents composants de la lumière, il s’est entouré du Bell Laboratory, un ensemble de sonneurs de cloches, carillons et autres métallophones. Dans une précédente vie, on eut le privilège d’interviewer cet histrion. Il nous confia alors ceci : « Je m’intéresse aux cloches parce qu’elles produisent le son le plus puissant que je connaisse, mais aussi le plus neutre. Elles ne sont pas associées à une histoire culturelle en particulier. Leur son est en quelque sorte libre. C’est également leur symbolique qui m’intéresse, en ce qu’elles représentent l’accès à un monde immatériel et hors du temps. » Le résultat est une bande-son aux vertus quasi mystiques – et le concert le plus bouleversant auquel on ait assisté.